Le dernier texte de fiction que publie André Ruyters ne paraîtra jamais en volume – sauf en 1988 dans le tome III des Œuvres complètes établie et annotée par Victor Martin-Schmets au Centre d’Études Gidiennes et, désormais, ici.
Si l’intégralité du texte de L’Ombrageuse est connue, c’est d’abord qu’il a été réparti sur quatre livraisons de La Nouvelle Revue française, d’octobre 1910 à janvier 1911, à raison d’environ 35 pages mensuelles, soit, sans y regarder de trop près, un quart de chacun de ces numéros (la pagination est variable). Ce n’est pas rien…
L’affaire n’est pourtant pas simple et elle débouche même sur, ce n’est pas rien non plus, le renoncement d’André Ruyters à ses ambitions littéraires. Il se contentera désormais de quelques notes de lecture ou de récits de voyage.
Avant d’atterrir – on a presque envie d’écrire: d’échouer – à la NRF, L’Ombrageuse portait un autre titre: La Ténébreuse, «roman à paraître prochainement», annonçait la revue Antée en publiant le premier chapitre, le 1er juin 1906. 19 pages qui ne se poursuivent pas. André Ruyters reviendra au sommaire de la revue en décembre, mais avec Le mauvais riche, en réalité les trois pages d’avertissement qui précéderont, au début de l’année suivante, l’ouvrage complet. C’est quatre ans et quatre mois plus tard que, modifié et après changement d’intitulé, ce premier chapitre sera enfin suivi du reste du roman.
Si la NRF le publie, ce n’est pas sans réticence…
Alban Cerisier, dans son Histoire de la NRF (Gallimard, 2009), résume avec une certaine sécheresse l’épisode de L’Ombrageuse, «roman dont l’achèvement deviendra un serpent de mer dans les rapports entre le romancier bruxellois et le reste du groupe. Finalement publié dans la NRF, mais jugé avec un certain mépris par les cinq autres fondateurs, il sera à l’origine d’une durable discorde et du premier élément de dislocation du groupe.»
Maaike Neeltje Koffeman-Bijman, qui consacre une thèse à la revue (Entre Classicisme et Modernité. La Nouvelle Revue Française dans le champ littéraire de la Belle Époque. Utrecht, 2003), allait dans le même sens: «Lorsque Ruyters leur présente son roman L’Ombrageuse, fruit d’un long travail très pénible, ses amis sont très déçus par cette œuvre et hésitent à la publier dans la NRF
Elle cite une lettre de Schlumberger à Gide en faveur de la publication: «C’est très joli de défendre la bonne littérature mais commençons par ne pas étouffer ceux qui la défendent. [...] Quant à la question d’opportunité pour Ruyters, lui seul en est juge et il peut lui être beaucoup plus nuisible de garder sur l’estomac trois ans de travail que de publier un livre imparfait par certains côtés. Méfions-nous de ces terribles émondages, méfions-nous de tout ce qui n’est que négatif dans notre vie.»
Jacques Copeau, en revanche, dans une lettre à André Gide (14 septembre 1910, in: Cahiers André Gide, 12, Correspondance André Gide - Jacques Copeau. Édition établie et annotée par Jean Claude. Introduction de Claude Sicard. Gallimard, 1987), en déplore la publication et l’éditeur de leur correspondance détaille en note les circonstances du débat: «Le roman d’André Ruyters L’Ombrageuse a failli constituer une pomme de discorde au sein de l’équipe de la N.R.F. Ruyters avait peiné plus de quatre ans sur ce récit alambiqué, d’abord intitulé La Ténébreuse, l’avait fait attendre, espérer même. La première lecture qu’en ont faite Gide et Copeau, au cours de l’été à Cuverville, les a consternés, Copeau étant alors partisan de ne pas publier. Choisi comme arbitre, Jean Schlumberger, après avoir lu le roman dans une version “toute raturée, couturée et balafrée” […] finit par le faire accepter par le groupe, davantage pour des motifs humains que pour sa valeur intrinsèque.»

2,99 euros ou 9.000 ariary

ISBN 978-2-37363-094-7