Disons-le tout net: André Ruyters (1876, Bruxelles - 1952, Paris) est un écrivain oublié. Ajoutons, avec appréhension: peut-être à juste titre, et par sa faute. Songe-t-on à se détourner presque complètement de la littérature à trente-cinq ans quand on a fondé L’Art jeune (avec Henri Vandeputte) et qu’on a, malgré un effacement progressif, été gérant de la N.R.F. jusqu’en 1914? En ayant entre-temps publié un certain nombre d’ouvrages, multiplié les collaborations et entretenu un long compagnonnage avec André Gide?
Mais la littérature ne nourrit pas son homme, dit-on assez souvent pour que cela se vérifie dans la plupart des cas, et André Ruyters a choisi une autre voie. En 1910, elle le conduit en Éthiopie d’où il revient l’année suivante. Il y retournera plusieurs fois après la guerre, sans, semble-t-il, approcher la réussite matérielle qu’il avait dû espérer. Abandonnons-le là pour l’instant, sans le suivre en Extrême-Orient où le conduira la suite de sa carrière professionnelle.
Car l’Éthiopie est le cadre d’un récit de voyage qu’il publie dans la N.R.F. et que nous reproduisons ici. La première partie (octobre 1911) s’intitule simplement «Addis-Abeba», les deux suivantes (décembre 1911 et mai 1912) prennent le titre que nous avons choisi pour cette édition. Il est trompeur puisque la destination n’est pas atteinte dans les pages publiées, alors que le voyage se poursuivit bien jusqu’à Djibouti, d’où il comptait embarquer le 3 mai pour arriver à Marseille le 14 – il donne ces dates à André Gide sur une carte postale envoyée d’Addis-Abeba le 8 avril.
La caravane, tant bien que mal, se met en marche et André Ruyters raconte les paysages, les hommes et les femmes, les coups de fusil, les bonnes et les mauvaises rencontres… C’est vif, non exempt des préjugés de l’époque. Les traits de femmes croisées au retour de leur corvée d’eau sont épaissis par «le sang impur du nègre». Dans la facture de cases grossières, «on sent la main du nègre». N’en jetez plus…
L’ombre de Rimbaud passe, discrète, dans une collection de cartes de visite rassemblée par un Abyssin (André Ruyters écrit: «abyssin») qui semble avoir rencontré tout ce que l’Europe a donné à l’Éthiopie d’escrocs et d’aigrefins: «Je songe qu’un carton de Rimbaud peut-être quelque part, dans ce pays, achève de jaunir, au fond d’une hutte perdue, pêle-mêle avec des thalers et des cartouches.»
Embarquement immédiat sur des pistes mal taillées pour un Européen habitué à un tout autre confort mais qui fait preuve, malgré tout, de souplesse devant les circonstances.

2,99 euros ou 9.000 ariary

ISBN 978-2-37363-091-6